Des milliers de pages pour les non-voyants.

L’association « Baisser les Barrières » propose des fichiers digitaux d’ouvrages universitaires.

Sur l'étagère, les livres dépecés s'amoncellent « Quelques milliers de pages à scanner», sourit Bénédicte Lavoisier, dont l'association Baisser les barrières, créée il y a deux ans, aide les étudiants non-voyants en leur fournissant les fichiers digitaux d'ouvrages universitaires. «La plupart de ces textes sont introuvables en braille. Nous les transformons en fichiers reconnaissables par des logiciels de synthèse vocale, ou pouvant être lus grâce à un clavier tactile » explique Mme Lavoisier qui, avec le développement de son projet, a transformé une partie de son appartement en local associatif peuplé d'ordinateurs, au grand dam de ses enfants. Malgré deux salariés à mi-temps et une petite équipe de bénévoles, le travail ne manque pas. Plusieurs heures sont nécessaires pour scanner et corriger un livre de quelques centaines de pages. « Les logiciels s'améliorent, mais les coquilles sont encore assez fréquentes, il faut alors retaper un à un les mots erronés», souligne Françoise, bénévole depuis quelques mois à l'association. En deux ans, plus de 23 000 pages ont été passées à la moulinette pour atterrir dans la boîte mail des étudiants. « C'est fastidieux, mais le retour que l'on en a est vraiment gratifiant », explique Alexandre en DEA d'histoire, l'un des deux salariés de l'association qui compte une centaine d'adhérents dont un tiers d'utilisateurs réguliers. « Des étudiants comme les autres, insiste-t-il. Certains ne nous contactent qu'une seule fois, d'autres nous appellent régulièrement, parfois en urgence. Il m'est arrivé de scanner des textes le soir pour un partiel ayant lieu le lendemain. J'essaie de m'arranger ». sourit-il.

Non loin, Jaya, 27 ans, surfe à toute allure sur son ordinateur portable grâce aux indications sonores de son logiciel. Non-voyant, il a eu lui-même recours à l'association. Diplômé de l'Ecole centrale et administrateur chez EDF, il a eu besoin de fiches de culture générale pour préparer le concours de Sciences-Po Paris. Son beau parcours ne doit pas masquer les difficultés auxquelles il a été confronté : «Après une prépa en province, où les prof prenaient soin de me rendre accessibles tous les documents, j'ai atterri à Centrale, où les enseignants, sûrement par peur d'une diffusion abusive, n'étaient plus du tout prompts à me fournir les enregistrements de leurs cours », explique-t-il. Une attitude qui n'a pas facilité son apprentissage, mais Jaya en sourit aujourd'hui. « Du fait de leur handicap, ces élèves sont de toute façon obligés d'en faire plus que les autres. Notre but, c'est de les aider le plus possible à travailler de manière autonome, ou qu'au moins on ne leur rende pas la tâche plus difficile », souligne Mme Lavoisier, qui constate que beaucoup d'efforts restent encore à faire, parmi lesquels l'équipement des établissements et le changement de regard sur les personnes en situation de handicap. «Notre objectif premier était d'établir un premier contact entre nos étudiants et les employeurs, par le biais de stages. Les premières expériences étaient encourageantes, mais nous nous sommes vite fait déborder par la demande en scanners. Maintenant que nous sommes mieux organisés, nous allons à nouveau pouvoir nous pencher sur le sujet », espère Mme Lavoisier, qui entend également dégager plus de temps pour mener des actions de lobbying.

Car depuis quelque temps, l'Association milite auprès des pouvoirs publics pour obtenir la création d'un dépôt légal numérique : ou encore pour autoriser les copies numériques des ouvrages en échange de l'acquittement du prix du livre. « Si l'on compte notre temps de travail, un livre nous revient à 130 euros... et nous sommes en plus hors la loi! Ce que nous souhaitons, c'est négocier un accès aux œuvres moyennant le paiement des droits d'auteur», explique-t-elle. La bataille s'avère rude, car des sociétés privées, qui cherchent à commercialiser des logiciels de lecture payants sont également sur les rangs.

Jorge Carasso