À LA UNE

DERRIÈRE LE HANDICAP, LES COMPÉTENCES

Le durcissement des obligations légales et la politique d'intégration des minorités visibles modifient le regard que portent les entreprises sur les cadres handicapés.

Des stages pour les étudiants handicapés

La directrice de l'association Baisser les barrières, Bénédicte Lavoisier, défend énergiquement son projet : « L'objectif des stages est de faire tomber les peurs liées au handicap chez les employeurs, mais aussi chez les étudiants handicapés. » Créée en 2004, l'association a commencé à travailler avec de jeunes déficients visuels. Un travail de pédagogie. « Souvent nous devons les persuader d'entrer en stage »,explique Bénédicte Lavoisier. Baisser les barrières a déjà aidé une dizaine de handicapés à trouver des stages pour se frotter au monde du travail.

Pour sa dixième édition, la Semaine pour l'emploi des personnes handicapées, qui se déroulera du 13 au 19 novembre sur l'ensemble du territoire*, semble promise à un beau succès. Pas loin de 60 000 rencontres rassemblant recruteurs et candidats auront lieu durant cette semaine, contre 40 000 l'an dernier, selon les es­timations de l'Association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (Adapt), l'organisateur de l'événement.

Une quarantaine d'entreprises devraient participer aux 150 « job dating » prévus. De 25 à 50 sociétés seront présentes aux forums organisés dans les villes. Soit, au total, plus de 2 000 recruteurs prêts à embaucher des personnes présentant un handicap, parmi lesquels des sociétés de travail temporaire, comme Adecco ou Adia, mais aussi de grands groupes, comme Total, SFR, Areva, LaPc ste, les Caisses d'Epargne ou Sodexho. Les préjugés des entreprises vis-à-vis de l'employabilité des personnes handicapées sem­blent - enfin - tomber. Le portail handicap du « job board » Monster propose quelque 6 000 offres, émanant de 180 entreprises "handi-accueillantes". Quant à hanploi.com, qui publie aussi des offres d'emploi, il compte plus de 600 entreprises utilisatrices.

Une loi plus contraignante

L'entrée en application au début d'année de la loi sur le handicap, qui taxe plus lourdement qu'auparavant les employeurs ne respectant pas le quota obligatoire de 6 % de travailleurs handicapés, n'est pas étrangère à ce soudain engouement. A titre d'exemple, une entreprise de 500 salariés, dont seulement 2 % présentent un handicap, versera en2007 près de 100 000 euros à l'Agefiph, l'organisme qui collecte et redis­tribue les fonds pour l'insertion professionnelles des personnes handicapées. Pour un groupe de 3000 salariés, avec toujours une proportion de 2 % de handicapés, la note atteindra les 700 000 euros !De quoi faire réfléchir au sein des directions générales... Les motivations financières ne sont pas les seules à entrer enjeu. La question du handicap rejoint celui, très en vogue, de la promotion des minorités au sein des entreprises.

De la charte de la diversité à la formation des cadres au handicap

Pour améliorer leur image et diversifier leurs sources de recrutement, les groupes signent des chartes de la diversité ou des accords d'en­treprise dans lesquels ils s'engagent à intégrer dans leurs effectifs des salariés handicapés, dont des cadres. ETDE, la filiale électricité et maintenance de Bouygues Construction, a promis de recruter 60 personnes handicapées d'ici 2008. Idem au Crédit Agricole qui prévoit d'en embaucher 110. L'enseigne de la grande dis­tribution Champion souhaite, elle, intégrer 250 handicapés. Enfin, l'accord triennal signé par Alcatel table sur l'arrivée de 60 personnes souffrant d'un handicap. D'autres entreprises œuvrent en faveur de l'inté­gration et de la formation. Les salariés de l'éditeur de logiciels Dassault Systèmes et de l'opérateur de téléphonie mobile SFR peuvent suivre une formation pour démystifier le handicap, déli­vrée par Horizons 2000, une équipe de consul­tants eux-mêmes handicapés. Une centaine de collaborateurs de Dassault Systèmes sont par ailleurs inscrits à un atelier du langage des signes, afin d'apprendre à communiquer avec trois collègues sourds profonds. Certaines entre­prises peuvent également mettre leur savoir-faire au service du handicap. A destination des handicapés moteurs, IBM propose des solutions informatiques pour surfer sur internet, et Thales a conçu un logiciel d' aide ale vision pour les malvoyants.

Sortie de fichier

Autant d'initiatives qui favori­sent l'emploi des handicapés. Et ça marche : pour la première fois de son histoire, l'Agefiph constate une diminution du nombre d'en­treprises cotisantes. En trois ans, un millier d'entre elles sont ainsi sorties de ses fichiers. Paradoxalement, si les entreprises semblent prêtes aujourd'hui à embaucher des personnes han­dicapées , elles éprouvent des dif­ficultés à... trouver des candidats. C'est particulièrement vrai pour les postes de cadres, nécessitant un certain niveau de compétences. Les études relevant souvent du parcours du combattant, les bâtiments et l'organisation des cours étant rare- ment adaptés à ce public, seuls 12 % de travailleurs handicapés possèdent un diplôme de l'enseignement supérieur. Résultat : les cadres avec un handicap représentaient 4 % des salariés handicapés des entre- prises de plus de 20 salariés en 2003, contre 17 de cadres tous publics confondus. L'orientation rentre aussi en ligne de compte. La majorité des étudiants handicapés optent pour les filières généralistes, quand les entreprises recherchent surtout des diplômés d'écoles de commerce ou d'ingénieurs. Selon une étude de l'observatoire Lab'Ho, réalisée en 2004 pour le compte d'Adecco, les étudiants avec un handicap choisiraient leur cursus en fonction non pas de leur projet professionnel, mais plutôt des conditions d'accueil des établissements.

Stratégie de contournement ou reconnaissance

Enfin, si les entreprises peinent à trouver des cadres handicapés, c'est parce qu'une partie d'entre eux rechignent à se présenter comme tels. Après avoir obtenu son diplôme à l'Esidec, l'Ecole de commerce international de Metz, Stanislas a d'abord cherché un emploi sans parler aux recruteurs de son problème de santé, qui peut l'invalider ponctuellement. « Mais au cours des entretiens, on me demandait de justifier les trous dans mon CV. J'ai donc fini par demander à être reconnu comme travailleur handicapé », témoigne ce trentenaire. Christophe Guennoc a été recruté au cours d'un « job dating » organisé par Alcatel, où il travaille aujourd'hui comme ingénieur intégrateur. Malentendant et discrètement appareillé il a souvent utilisé, dans les sociétés de services et d'ingénierie informatiques où il travaillait auparavant, des stratégies de contournement, en mettant par exemple le volume de son téléphone au maximum, pour ne pas parler de son handicap. « La première responsable des ressources humaines que j'avais rencontrée ne le comprenait pas », se souvient cet ingénieur de 33 ans. Les recruteurs et les candidats réunis lors de la Semaine de l'emploi des handicapés devraient avoir, eux, toutes les raisons de bien s'entendre.

www.semaine-emploi-handicap.com

Coralie Donas